La loi du plus fort

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Le secteur des éditeurs suisses de logiciels de gestion n'a pas été épargné au cours des dernières années. Depuis 2017, au moins 50 entreprises ont changé de main. Qui a acheté qui - et pourquoi ? Auteur: Christoph Hugenschmidt.

Entre 2017 et 2022, au moins 50 entreprises suisses de logiciels ont été vendues*. La plupart des changements de propriétaires ont eu lieu à partir de 2020. Mais qui a été vendu - et à qui ? Pour répondre à cette question, j'ai classé tous les rachats par catégorie. Le résultat est impressionnant (voir graphique) : 19 rachats correspondent à des rachats par des "criquets capitalistes" (un terme qui est devenu à la mode en Allemagne en 2004). Neuf entreprises appartiennent à la catégorie dite des «béquilles numériques» (soutien à la numérisation des PME), 15 suivent tout de même une logique industrielle et seules cinq entreprises ont rejoint une entreprise internationale. Quatre autres rachats avaient une logique industrielle, mais n'ont été possibles que grâce à l'argent d'une participation.

Prenons quelques exemples marquants. En 2018, l'assurance La Mobilière rachète Bexio, l'éditeur de logiciels de gestion pour les PME. Dès 2020, la Poste achète d'abord Klara, puis Tresorit, Swisssign, Dialog Verwaltungs-Data, Unblu (plateforme de dialogue pour le secteur financier) et enfin le prestataire de services communaux valaisan T2i. La Mobilière et la Poste souhaitent accompagner les PME dans leur processus de digitalisation, en s'appuyant sur les éditeurs de logiciels qu'elles ont rachetés et qui leur serviront de «béquilles numériques» afin de répondre plus rapidement aux besoins spécifiques de leurs clients.

Du «criquet» à «logique industrielle»

Les rachats des sociétés de participation sont classés dans la catégorie des «criquets capitalistes». Ces sociétés de «capital-investissement» lèvent des fonds, par exemple auprès des caisses de pension, pour acheter des entreprises. Elles se chargent de les «revaloriser» pour finalement les revendre (introduction en bourse, fusions, etc.). Parfois, ces sociétés de participation choisissent de garder les entreprises rachetées afin de profiter d'un revenu régulier qu'elles redistribuent aux actionnaires (buy and hold). Les «criquets» ne sont pas forcément «mauvais», ils peuvent en effet aider une entreprise rachetée à accélérer sa croissance.

La catégorie «entreprise internationale» regroupe les entreprises qui poursuivent une stratégie à l'échelle européenne ou mondiale. Le rachat et le développement d'entreprises en font partie. Un exemple connu est le géant allemand Bechtle, qui a également racheté (avec plus ou moins de succès) toute une série de prestataires de services informatiques en Suisse.

Le terme de «béquille numérique» est quelque peu péjoratif. Il s'agit de grands groupes, comme la Poste, qui rachètent des entreprises grâce auxquelles ils peuvent se développer sur un marché donné. Par exemple, celui de la digitalisation des PME.

Enfin, la catégorie «logique industrielle» fait référence aux rachats d'entreprises où les acheteurs et les vendeurs veulent développer ensemble leurs entreprises. C'est la stratégie que poursuit par exemple CM Informatik.

La liste des deals de la catégorie des «criquets» est plus longue. Le nom d'Elvaston, notamment, revient régulièrement. En 2017, la société de participation berlinoise rachète Magnolia, l'éditeur bâlois à succès d'un CMS et la revend en août 2022. En 2018, Elvaston investit dans la société austro-allemande de logiciels Infoniqa. De son côté, Infoniqa rachète en avril 2021 une partie de Sage Suisse, à savoir le bon vieux Sesam (Sage 50) et Sage 200 (Simultan) puis Run-my-Acounts. Tout devient encore plus complexe, lorsque la société de participation Warburg Pincus prend la majorité d'Infoniqa en 2020. Mais Elvaston reste actif et acquiert dès 2020 sept autres entreprises de logiciels suisses ou ayant des activités en Suisse (Glaux, Sowatec, Dataphone, Xelog, Selectline, groupe.id, Abra). De son côté, Glaux rachète deux petites entreprises de logiciels grâce à l'aide financière d'Elvaston. En juin 201, la vente de BRZ Suisse passe presque inaperçue. L'éditeur de solutions pour le second œuvre a été vendu par sa société mère, le groupe allemand BRZ, à la société de participation canadienne FOG Software Group. BRZ Suisse avait été fondée en 2004 suite à la vente de Wibeag à BRZ.

Les deux grands éditeurs de solutions pour les caisses-maladie, BBT et la société saint-galloise Adcubum, sont également passés aux mains des «criquets». BBT a été vendu à Valoris (Canada) et AdCubum à TA Associates. L'objectif devrait être une entrée en bourse. En 2020, la société Capvis prend une participation dans BSI, un grand éditeur de solutions CRM qui emploie 320 personnes. La société de participation londonienne Forterro est également active en Suisse. Elle rachète la société bernoise Solvaxis (ProConcept) par des voies détournées et acquiert MyFactory en 2021. En mars 2022, Forterro est à son tour vendue pour un milliard d'euros au Partners Group de Zoug.

Il est question de beaucoup moins d'argent dans le cas des rachats qui s'inscrivent dans une «logique industrielle». Par exemple, depuis 2020, le partenaire Abacus CM Informatik a racheté cinq petits fournisseurs de logiciels destinés aux écoles et aux administrations publiques dans un intervalle de temps relativement court. Pour quatre d'entre eux, il s'agissait de solutions de succession. L'acheteur, CM Informatik acquiert de nouvelles relations clients et des collaborateurs qualifiés, le vendeur trouve un successeur et offre de nouvelles perspectives à ses collaborateurs. Les produits correspondants seront tôt ou tard remplacés par les logiciels plus modernes de CMI. En revanche, avec le rachat de l'application de communication scolaire de Klapp, c'est l'inverse. L'outil sera intégré dans les solutions CMI. Dans un bref entretien téléphonique, le directeur de CMI, Stefan Bosshard, m'a expliqué que la société avait financé elle-même ses acquisitions. Il a délibérément renoncé à faire appel à un investisseur. Grâce aux entreprises rachetées, CMI est désormais, selon ses propres dires, le leader sur le marché des logiciels destinés aux écoles en Suisse.

Seuls quatre rachats font partie de la catégorie «entreprise internationale». Citons le géant allemand des services informatiques Bechtle, qui a racheté Acommit et Alpha Solutions, deux spécialistes de Dynamics. Parlons également du plus gros deal jamais réalisé en Suisse dans le domaine des logiciels : le groupe technologique japonais NEC rachète en 2020 la société zurichoise de logiciels bancaires Avaloq pour deux milliards de francs. Un "exit-deal" typique, car Avaloq appartenait au «criquet» Warburg Pincus ainsi qu'aux fondateurs et à la direction.

Toutefois, les situations mixtes existent toujours. Ainsi, grâce à leurs solides investisseurs, les filiales des criquets ou les béquilles numériques peuvent également être dans une logique industrielle. On peut citer l'exemple de Glaux. Grâce à l'argent de son investisseur, l'entreprise bernoise de logiciels a racheté un petit éditeur de solution de Case Management en plein essor.

 

* La liste est bien sûr incomplète, car tous les rachats n'ont pas été communiqués. Sources : www.itreseller.ch et www.inside-it.ch.